Transferts de la diaspora 3: Haïti peut-il profiter de l’expérience de l’État d’Israël?

Troisième partie: Des obligations haïtiennes?

La troisième et dernière partie de cette série propose de parcourir les défis et opportunités d’Haïti pour héberger un programme d’obligations de la diaspora similaire à celui d’Israel Bonds. Après avoir étudié les circonstances autour de la naissance du programme israélien (1ère partie), et les facteurs expliquant son succès (2ème partie), nous voici donc rendus à cette interrogation. Haïti peut-il profiter de l’exemple de l’État d’Israël?

Haïti: Défis et opportunités

À l’heure de cette rédaction, Haïti compte environ 2 millions de ressortissants de première génération, soit près de 15% de sa population. La moitié de ces ressortissants se trouve aux USA (900,000+) et au Canada (150,000+), avec d’autres grandes proportions en République Dominicaine, en Europe, en Amérique Latine et dans le reste de la Caraïbe.1

L’angoisse du bercail, caractéristique des diasporas du monde entier, est copieusement documentée dans la littérature et la culture populaire haïtiennes, dont des lieux communs sont la rigueur de la vie à l’étranger, la décrépitude des conditions de vie au pays, l’inquiétude pour le bien-être de la famille bò lakay, ou le rêve chimérique de terminer ses vieux-jours dans sa terre natale.

Image par Yvon Guignard de Pixabay

L’engagement de cette diaspora a aussi épousé la forme de causes actives. Nombreuses sont les organisations qui se sont structurées pour tenter de canaliser de l’aide vers des initiatives communautaires à vocation sociale.2 Bien que ces initiatives n’aient pas accouché à date d’une stratégie porteuse, l’idée que le développement d’Haïti passe par une contribution directe de la diaspora au financement des structures du pays semble favorable. Si donc une organisation du type Israel Bonds devait se structurer en Haïti, quelles embûches devrait-elle surmonter?

Des défis structurels

L’impact des transferts internationaux sur la croissance du pays récepteur dépend en partie de si les produits des transferts sont investis ou consommés.3 Nécessité oblige, dans certains pays, comme Haïti, plus de 80% des fonds issus de transferts de la diaspora sont dépensés dans les denrées de subsistance, et non dans l’épargne ou encore les investissements.4 Quand l’essentiel de ces biens est importé, la fuite de capitaux est immédiate: l’argent rentre de l’étranger, achète des denrées importées, retourne à l’étranger. Il rentre par la fenêtre et s’envole par la porte. Et avec une balance commerciale déficitaire représentant plus de 40% de son PIB,5 l’appareil productif démembré, Haïti est un tunnel: Les fonds passent, mais n’y restent pas.

Avant donc d’avancer une institution capable de consolider des investissements de la diaspora vers le développement, encore faut-il une stratégie de développement. Et c’est là que pèse l’absence de leadership du gouvernement. C’est d’ailleurs la douloureuse leçon du programme TOKTEN des Nations Unies:6 des jeunes professionnels de la diaspora, payés pour aller prêter main forte dans leur pays, se retrouvaient systématiquement inactifs, faute de jumelage à des projets engageants du gouvernement. Le problème de base n’est donc pas seulement celui de la levée de fonds, mais la création des structures pour engager ceux-ci dans la production. On aura beau gaver d’essence le réservoir d’une auto, s’il n’y a pas de moteur, l’auto n’avance pas.

Les tares de l’histoire

Il y a peut-être deux constantes de l’histoire d’Haïti: l’instabilité politique et la corruption.

De l’instabilité politique, Pauyo7 dressait le pointage suivant en 2011:

« Haïti a incessamment oscillé entre tyrannie et anarchie. Elle a fait usage de 29 constitutions, 43 chefs d’État, dont 7 sont restés au pouvoir plus de 10 ans ; 9 d’entre eux se sont proclamés Président à vie, 26 ont été assassinés ou contraints à l’exil. Ajoutez à ces chiffres les 103 cas soit de coups d’état soit de guerres civiles, rebellions armées ou soulèvement populaires chroniques enregistrés en seulement deux siècles d’histoire

Source: L’Exemplaire, Média-École des Étudiants en Journalisme de l’Université Laval

Quand à la corruption, il n’est pas nécessaire d’en faire une généalogie. Scandale MUCI: les fonds de la plus grande coopérative du pays sont détournés, privant la classe moyenne de ses fonds de retraite; séisme 2010: Plus de 7 milliards de dollars8 disparaissent, ne laissant que des tentes et du choléra. Programme d’écoles: Un prélèvement de 1.5$ est effectué sur chaque transfert de la diaspora pour construire des écoles qui n’ont jamais vu le jour; PetroCaribe: plus de 2 milliards de dollars de paiements différés du pétrole vénézuélien devant servir au développement disparaissent, laissant derrière eux misère, soulèvements et endettement.9 Tous ces scandales n’ont pourtant eu lieu que les vingt dernières années d’une histoire isotrope de deux cents ans.

Conclusion: Un cheminement possible

Si on parle de l’existence d’une diaspora entichée de participer au développement d’Haïti, des conditions seraient propices à un programme d’obligations de la diaspora. En revanche, Haïti présente des obstacles abrupts au développement, des démons rétifs à toute tentative de progrès, et dont la face est pourtant bien connue. La diaspora aura beau être anxieuse de contribuer au développement, la corruption et l’instabilité politique ruinent la confiance des investisseurs d’où qu’ils proviennent.

Pour instaurer en Haïti un programme d’obligations de la diaspora inspiré de l’exemple d’Israël, il faudra établir un historique de confiance et de transparence. Au début, l’État haïtien devra effectuer des émissions d’obligations modestes, les mener à terme, et ainsi établir progressivement une cote de confiance favorable.

Vu son historique d’emprunts, de crédits et d’aide humanitaire auprès de la Banque Mondiale et du FMI, Haïti peut aussi bénéficier de leur appui pour structurer un programme de cette envergure. Cet appui peut être humain: assistance technique de haut niveau et promotion auprès des marchés financiers. Et il peut être financier, comme par exemple la constitution d’un fond de garantie aux obligations haïtiennes permettant d’asseoir la confiance des investisseurs, ne serait-ce que pour les premières émissions.10

Dans les pays disposant de leur propre Marché de Valeurs, les obligations sont souvent utilisées pour le financement des institutions locales. Les USA sont le champion de ce modèle avec plus de la moitié de leurs grandes villes comptant au moins un programme d’obligations. Cela suggère que si un jour Haïti devait prendre sérieusement le virage de la décentralisation, et structurait son propre marché de valeurs, des émissions d’obligations permettraient tant aux citoyens qu’aux membres de la diaspora de participer, à titre d’investisseurs, au développement des programmes et des villes de leur choix.

La conclusion de ce qui précède est la suivante: le modèle existe. Il fonctionne. Et si l’application de tout modèle de développement doit prendre en compte les conditions socio-économiques du pays où il s’applique, ce modèle est fort de maints succès depuis qu’il a été instauré par Israel Bonds en 1951. Émettre des obligations de la diaspora pour financer le développement comporte aussi ses risques. Cependant, Haïti peut profiter de ce modèle à condition que le pays s’engage sérieusement à combattre la corruption et l’instabilité politique.

Pour libérer ce potentiel de développement, le défi d’Haïti est celui de se réinventer, pas de réinventer la roue.

Partager l’article :

Facebook
Twitter
LinkedIn

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de l’auteur

Dans la même catégorie

Inscrivez-vous

à notre infolettre!