SÛRETÉ MARITIME : HAÏTI FACE AUX EXIGENCES DE LA U.S. COAST GUARD

Note : Cette opinion fait référence à l’article publié dans le journal Le Nouvelliste Haïti en date du 13 novembre 2025, intitulé : Sûreté : Les ports haïtiens dans le rouge.

L’article du Nouvelliste rapporte bien en détail les mesures de l’injonction de l’USCG au gouvernement et aux autorités portuaires d’Haïti. Nous mentionnerons ici seulement que pour imposer le respect de la convention ISPS aux ports haïtiens, les USA utilisent comme levier tactique les intérêts économiques des navires qui transigent dans des ports haïtiens avant d’entrer (directement ou indirectement) aux USA. Toute mesure additionnelle imposée à des navires rentrant affecte les coûts d’opération de chaque voyage, donc le chiffre d’affaires des armateurs (propriétaires), operateurs, affréteurs, assureurs, etc. Ceux-ci, le cas échéant peuvent considérer contourner tout port haïtien.

Voici donc, plus bas, quelques informations sur les exigences de la convention ISPS, ainsi que les mesures que le gouvernement haïtien, à travers l’Autorité Portuaire Nationale – APN, doit adopter pour maintenir la conformité à cette convention. Ce faisant, ces mesures aideront à améliorer la sûreté maritime, pas seulement pour répondre aux exigences américaines, mais aussi pour rendre plus sécuritaire le transport maritime haïtien pour tous.

ISPS et MTSA, que sont-ils?

  • L’ISPS est le Code sur la sûreté des navires et des installations portuaires (ISPS : International Ship and Port Facility Security Code)
    Il fut proposé par les USA et adopté par l’International Maritime Organization – IMO de façon expéditive après les attaques du 11 septembre 2001.
  • Comme mécanisme rapide d’adoption, le code a été inclus comme un chapitre d’une convention déjà largement adoptée autour du monde : c’est la convention SOLAS (Safety of Life at Sea), dont l’ISPS est le chapitre XI-2.
  • Son objectif est d’établir un cadre de coopération entre les navires, leurs intérêts (armateur, operateurs, etc.) les ports et leurs intérêts (Gouvernements nationaux, autorités portuaires, operateurs portuaires etc.) pour assurer la protection des navires et installations portuaires contre les menaces à la sûreté maritime.

Distinction doit être établie ici, dans le contexte maritime, entre la sécurité (safety en anglais), qui couvre toutes les mesures pour protéger la vie, les biens et l’environnement des risques générés dans les conditions de travail en général (accidents, chutes, incendies, naufrages etc.) et la sûreté (security en anglais), qui traite des mesures contre les menaces intentionnelles d’origine humaine (attaque armée, vols, passagers clandestins etc.)

  • La MTSA (Maritime Transportation Security Act) est la loi par laquelle les États-Unis intègrent les provisions de ISPS dans leurs lois nationales. Chaque pays signataire du Code en fait de même. La loi du Canada s’appelle aussi MTSA, en passant.

Quelles sont les exigences du Code ISPS?

Le Code établit trois paliers de sûreté, appelés couramment niveaux MARSEC

  • MARSEC 1: Niveau d’opération normale, sûreté minimale (contrôle d’accès, registres d’entrées et sorties de visiteurs et personnel portuaire, surveillance aires d’opérations, y compris mouillages et quais, communication)
  • MARSEC 2: Mesures de sûreté additionnelles, répondant à un risque élevé : typiquement, inspection d’équipages de toute personne rentrante et sortante, accompagnement partout sur le bateau, zones restreintes etc.
  • MARSEC 3 : Niveau de sûreté maximum correspondant à un risque probable ou imminent. Souvent cela comprend l’arrêt de toute interface navire/port ainsi que d’autres mesures.
  • Le Code impose une Évaluation de Sûreté du navire et des ports (Ship / Port Facility security assessment respectivement) : qui inclut, entre autres l’Identification des actifs et infrastructures à protéger, possibles risques, mesures pour les mitiger, identification de vulnérabilités etc.
  • Suite à l’Évaluation de sûreté, un Plan de sûreté des navires et des ports respectivement (Ship security plan / Port Facility security plan) : entre autres, mesures pour prévenir accès non autorisés, mesures de réponse aux risques ou failles de sûreté, procédures d’évacuation, rôles du personnel de sûreté du port, procédures interface navire/port, exercices de sûreté et maintien de registres etc.
  • Conformément au Plan de sûreté (navire et port), appointer un Officier de sûreté du navire  (Ship Security officer, SSO, souvent le capitaine ou un officier cadre), de la compagnie qui l’opère (Company Security Officer, CSO), et du port (Port Facility Security Officer, PFSO)
  • Vérification et Certifications de sûreté par l’administration maritime ou en son défaut, par des organisations de sûreté reconnues (RSO) déléguées à cet effet.
  • Déclarations de sûreté: échanges navire/port avant arrivée/interface bateau/port, pour assurer même niveau de sûreté ou les mesures à prendre en cas de niveaux de sûreté (MARSEC) différents.
  • Formation du personnel (navire, port et compagnies), exercices de sûreté et Registres

Que doit faire Haïti?

  • À travers l’agence gouvernementale en charge de la sûreté portuaire, l’APN, évaluation de sûreté de toutes les installations portuaires
  • Le gouvernement haïtien peut déléguer une RSO pour conduire les évaluations de sûreté et approuver les plans de sûreté des installations portuaires. Ces RSO, ce sont souvent les Sociétés de Classification, qui assurent la conformité et certification des navires depuis leur construction. Des exemples incluent American Bureau of Shipping (ABS, des USA), Bureau Veritas (de France), Lloyd’s Register (LR, de la Grande-Bretagne) etc.
  • Le gouvernement peut invoquer le besoin de Coopération Technique : l’assistance fournie par les pays avancés aux autres pays pour la mise à niveau de leurs standards maritimes. L’OMI, et d’autres partenaires d’Haïti, y compris les USA peuvent assister. C’est d’ailleurs pourquoi la lettre de l’ambassade des USA mentionnait qu’ils sont « 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑐𝑖𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑑𝑖𝑓𝑓𝑖𝑐𝑢𝑙𝑡𝑒́𝑠 𝑒𝑡 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑝𝑟𝑒̂𝑡𝑠 𝑎̀ 𝑑𝑖𝑠𝑐𝑢𝑡𝑒𝑟. »
  • Élaboration dans chaque installation d’un plan de sûreté, couvrant tous les aspects mentionnés dans le code (Parties A et B).
  • Nommer pour chaque installation portuaire un officier de sûreté, responsable de l’exécution du plan

Est-ce que ce sera suffisant?

  • En principe oui, cependant Haïti demeurera vulnérable à toute décision unilatérale des USA
  • Une autre inquiétude aussi est la capacité d’application des plans de sûreté, au vu de la situation sécuritaire en Haïti. Il vaut cependant la peine de mentionner qu’à l’heure de cette publication, l’APN mentionne déjà la mise en œuvre de mesures, y compris l’implication de la police, des forces armées et forces de sûreté privées, pour sécuriser les ports et leurs alentours.

Et ensuite?

  • Il n’avait pas fallu l’injonction des USA pour savoir qu’entre bien d’autres défis, la sûreté des ports haïtiens était défaillante. Les évènements, attaques armées au port et même sur les navires sont documentés.
  • C’est cependant l’occasion d’adopter un paradigme de prévention, plutôt que de réaction.
  • La formation est au cœur de cette vision. Les formations comme officier de sûreté portuaire existent, et sont accessibles. La Fondation peut aider à adresser ce besoin dans son programme.
  • C’est aussi l’occasion d’adresser la surveillance des côtes. Pour la sûreté, et pour la sécurité, de tous les pêcheurs, voyageurs domestiques et navires commerciaux qui circulent dans les eaux territoriales haïtiennes, il est impératif d’installer un réseau de surveillance maritime (VTS: Vessel Traffic Service), d’installations radar pour assurer la surveillance côtière. On en est peut-être loin, et encore plus loin d’opérer nos propres navires de patrouille ; mais c’est résolument la direction à prendre.
  • Il faut aussi augmenter la capacité d’inspection de nos ports, et des navires qui y transigent. Haïti ne fait pas partie à ce jour du Protocole d’Entente de la Caraïbe sur les inspections de l’État du Port (Caribbean MoU). Former des inspecteurs maritimes, et prendre les mesures pour accéder à ce pacte régional augmentera le standard des ports haïtiens, les rendant plus attrayants au commerce international.
  • En tout dernier lieu, la sûreté de la chaîne logistique ne dépend pas seulement des ports, mais de tous les intérêts impliqués dans le commerce international. Il faut assurer que toutes les parties (ports, armateurs/opérateurs, importateurs/exportateurs, entreposeurs, transporteurs terrestres, courtiers de douane etc.) intègrent un réseau d’institutions assurant le respect des normes de sûreté par tous les membres. Ce mécanisme c’est le C-TPAT (Customs-Trade Partnership Against Terrorism), qui permet de travailler directement avec les douanes américaines (CBP – Customs and Border Protection) pour assurer la fiabilité de chaque partenaire de la chaîne logistique. Les exigences sont élevées, mais le jeu en vaut la chandelle.

Nous pouvons.

 


Note:
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