Transferts de la diaspora: Haïti peut-il profiter de l’expérience de l’État d’Israël?

Première Partie: Histoire d’un programme réussi

Les chiffres sont éloquents. Les transferts de la diaspora ne sont pas qu’une rubrique du revenu d’Haïti, mais une ligne de vie pour l’économie. De 5% du PIB que ceux-ci représentaient en 1986, ils en valaient plus de 10% en 2000, et atteignent aujourd’hui la part vertigineuse de 34.2%, soit près de 3 milliards de dollars américains. 1 En termes relatifs, Haïti faisait partie en 2019 des cinq pays les plus dépendants de cette source de revenu, à côté du Tonga (38.5%), du Népal (29.9%), du Tadjikistan (29.7%) et de la République du Kyrgyzstan (29.6%).2

Le développement n’a pourtant pas suivi. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, l’émigration des Haïtiens est un phénomène de masse. Et la vie, déjà précaire sous la dictature, s’est enfoncée au fil des crises et des décennies vers la situation actuelle: calamiteuse, anarchique, voire chaotique. Si les transferts n’ont jamais été aussi élevés, la misère, pourtant, n’a jamais frappé si fort à notre porte.

On questionne souvent le rapport des transferts de la diaspora au développement. Sous un angle radical, des fois: les transferts combattent-ils la pauvreté ou entravent-ils le développement en encourageant l’émigration de masse? D’autres fois, réformiste: quelles sont les politiques publiques capables de convertir les transferts en leviers du développement? À ce chapitre, un pays – l’État d’Israël – fournit un cas d’étude fertile.

Une question d’histoire

Une fois fondé en 1948, l’État d’Israël devait assurer sa survie et sa construction. Les communautés juives établies en Palestine depuis la fin de la première guerre mondiale étaient appauvries par l’effort de guerre de l’indépendance. Les Juifs du Moyen-Orient ainsi que des Juifs d’Europe, ces derniers souvent des survivants de la Shoah ou des camps de déplacés, répondirent à la promesse d’un État qui leur fût propre, en affluant vers la Terre Sainte, souvent sans aucune ressource matérielle.3

Souce: https://israelbondsintl.com/

Poussé par une crise économique aiguë, le Premier Ministre David Ben-Gourion proposa alors un projet de loi qui fut adopté par la Knesset en Février 1951: l’État d’Israël se financerait par la dette, vendue sous forme d’obligations4 à sa diaspora, nombreuse et souvent bien nantie d’Amérique du Nord. Une institution fut établie, la Developement Corporation for Israël aussi connue comme Israël Bonds, pour coordonner l’émission de ces obligations aux États-Unis. Au printemps 1951, C’est Ben-Gourion lui-même qui voyagea à New York pour lancer, au Madison Square Garden, la vente des Obligations de l’Indépendance.

Que sont les obligations de la Diaspora?

Les obligations de la diaspora sont un instrument de dette qui permet à un pays d’obtenir du financement de sa diaspora.5 Souvent, les fonds sont levés pour financer des projets d’infrastructures ou des programmes de développement, et permettent ainsi aux diasporas de participer au progrès de leur terre d’origine.

Obligations d’Israël

Les Obligations de l’Indépendance flottées en 1951 ont inauguré un programme d’obligations de la diaspora qui prospère encore à ce jour: les Obligations d’Israël. Cette première émission payait un rendement de 4% sur 10 à 15 ans, et recueillit à son lancement la somme de 52 millions de dollars, plus du double des prévisions.6

Le succès des Obligations d’Israël a été constant depuis lors. Israel Bonds est devenue non seulement une source substantielle de financement, mais une institution cardinale d’engagement à long terme, un pont entre l’État d’Israël et sa diaspora.

Six ans après le lancement du programme, ces obligations représentaient 35% du budget de développement, contribuant à financer réseau routier, ports et centrales électriques. Elles ont permis la construction du Réseau National d’Eau, immense aqueduc pourvoyant eau potable et d’irrigation aux régions d’Israël. La Dead Sea Works, immense complexe industriel, quatrième producteur mondial de produits dérivés de la potasse, a aussi été financé par ces obligations. Même en temps de conflits, ces obligations ont permis d’appuyer l’effort de guerre, comme cela a été le cas pendant la guerre des Six Jours ($250 millions), et la guerre de Yom Kippour (approx. $500 millions).7

Aujourd’hui, après presque trois quarts de siècle, les obligations d’Israël ont rapporté en capital d’investissement plus de $40 milliards. Elles sont émises par trois corporations: la Development Corporation for Israël aux États-Unis, le Canada-Israël Securities Ltd. au Canada, et la Development Company of Israël en Europe.8

Le modèle de la diaspora comme levier institutionnalisé de développement, a depuis lors, été appliqué par plusieurs pays. L’Inde a émis, bien que sporadiquement, les obligations de la State Bank of India quand l’accès aux marchés des capitaux lui était restreint. L’Ethiopie a tenté de financer son réseau électrique par le biais des Millenium Corporate Bond, et a réussi par la suite une deuxième levée de $42.5 M pour la construction du barrage de la Grande Renaissance. Le Ghana, le Nigeria, l’Afrique du Sud ont aussi capitalisé sur l’exemple d’Israël.9

Dans le prochain post de cette série, nous aborderons les mécanismes de fonctionnement d’Israël Bonds, ainsi que les facteurs qui lui ont servi d’incitatifs stratégiques.

Partager l’article :

Facebook
Twitter
LinkedIn

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de l’auteur

Dans la même catégorie

Inscrivez-vous

à notre infolettre!